«C’est un garçon», s’écria la sage femme que l’aubergiste de BETHLÉEM avait appelée à la rescousse. Joseph s’approcha: il n’y avait pas de doute. C’était bien un garçon, un petit gars bien couillu. Joseph regarda Marie avec tendresse. Elle avait eu neuf mois auparavant une échographie angélique … Mais là, ça se confirmait: c’était un petit bonhomme. Joseph sortit de l’étable, tout fou comme peut l’être un jeune père. Il cria dans la nuit: «C’est un garçon! C’est un garçon!». Aux alentours, quelques bergers l’entendirent crier.
Comme ils ne voyaient rien, ils crurent entendre un ange et ils se dirent: «Allons jusqu’à BETHLÉEM pour voir ce qui est arrivé». Joseph criait si fort «C’est un garçon» que Dieu le Père l’entendit dans son ciel. Il devint blême.
– Quelque chose ne va pas, Très Saint Seigneur? lui demanda l’ange Gabriel.
– J’ai peut-être fait une gaffe, répondit Dieu. C’est un garçon, et certains vont s’y croire. Parce qu’ils ont les mêmes attributs que lui, ils vont se croire plus importants, plus légitimes pour parler en mon nom. Ils vont tout faire pour que cela se sache. Je les entends déjà, dans quelques siècles, dire: «Oui, mais Jésus était un homme.» Rien que d’y penser, ça me retourne. Ce n’est pas cela que je voulais: j’aurais peut-être dû envoyer… une fille. Cela aurait peut-être changé le cours de l’histoire …
Et il se tut, songeur. Il reprit :
– Enfin, c’est fait, c’est fait: c’est mon enfant, et c’est un mâle. Il faut que j’assume.
Il ajouta :
– Pourtant, ce que je voulais, c’était surtout venir habiter chez eux, au milieu d’eux et partager leur vie: je sais bien que ce n’est pas simple d’être humain. Ce que je voulais en fin de compte, après avoir préparé le terrain par les prophètes, c’était simplement les rejoindre au plus près, et leur apprendre ce qu’est vraiment la vie. Je voulais qu’ils comprennent une fois pour toutes que je suis de leur côté, que je suis un Dieu «pour», que leur vie me passionne et que je veux qu’ils vivent. Et tous, sans exception! Pas seulement les quatre-vingt-dix-neuf que j’ai trouvés sur ce lambeau de Palestine. Il fallait que j’y aille, et que je leur donne le meilleur de moi-même. Maintenant que mon enfant est un garçon, je suis presque certain que la plupart des mâles de la terre vont se croire obligés de dominer le monde; et si un jour ma Bonne Nouvelle fait école, ils vont se prendre pour les maîtres. Ce n’est pas ça que je voulais. J’ai peut-être fait une gaffe …
Dieu avait l’air sacrément ennuyé. Les anges se regardèrent d’un air dubitatif. C’est bien normal de ne pas comprendre ces choses-là: que voulez-vous, quand on n’a pas de sexe … Après un long silence, Dieu reprit la parole :
– Je ne suis pas fou: je sais bien que mon fiston n’aura sûrement pas la vie facile. Il va leur parler de vie, d’amour, de liberté et de pardon: on lui rira au nez. Il dira que les gens sont bien plus importants que les lois, et qu’il vaut mieux servir que d’être servi; il racontera des petites histoires qui feront sourire les pauvres, car les simples comprennent: ça va les agacer, et cela se terminera mal. Je le sais de toute éternité, mais je ne pouvais pas faire l’économie de ne pas aller à leur rencontre. Ils le mettront à mort:je vois ça venir, c’est gros comme une étoile.
Il se tut. Les anges se regardaient. Puis il reprit :
– Je sais ce que je vais faire: je ne baisserai pas les bras. S’ils le font taire et s’ils le tuent, je le leur rendrai. Et pour toujours. Je ne pourrai pas laisser tomber l’humanité qui m’est plus chère que la prunelle de mes yeux. Je le ressusciterai !
Avec un peu de soleil dans le regard et un sourire sur les lèvres, il ajouta encore :
– Et puisque la moitié des hommes sont des femmes, je lui demanderai de se révéler, en tout premier, à une femme. Et pas des moindres: j’en connais une du côté de MAGDALA. Elle sera la premières des apôtres de Pâques. Cela devrait corriger le tir.
– Vous pouvez toujours essayer, ils ont le caleçon long! répondirent les anges en clignant des yeux.
Les anges clignèrent tellement des yeux que des mages, bien loin de BETHLÉEM, prirent ces étincelles pour des éclats d’étoiles. Et ils se mirent en route …
Bon d’accord: c’est une relecture. Une fiction, j’en conviens. Je brode, je brode. Les gens sérieux, les mâles dominants surtout s’écrieront que tout cela est bien bête et que cela manque singulièrement de sérieux. Peut-être. Quoique… En écrivant ceci, je n’oublie pas la prière finale de la messe de Noël: ‘Seigneur, nous célébrons de tout notre cœur la naissance de ton Fils; Accorde-nous la grâce d’approfondir notre foi en ce mystère, et d’y trouver la force d’un meilleur humour, par Jésus le Christ notre Seigneur ( ).’
Ah, pardon! «D’y trouver la force d’un meilleur amour.»
Décidément …
Raphaël BUYSE
Dimanche – Extrait de ‘Lueurs de Noël’,
un recueil de contes inspirés de l’Evangile,
éd. Salvator (2018)